
Barclay James Harvest Premier épisode (Koid9 n°44) : Les années Harvest (1966-1973)
Barclay James
Harvest est
né en 1966 (comme moi !) dans le Nord de l'Angleterre (pas
comme moi) de la fusion de deux groupes locaux, l'un fournissant John
Lees à
la guitare et Wooly
Wolstenholme aux
claviers, l'autre Les
Holroyd à
la basse et Mel
Pritchard à
la batterie. Il est intéressant de remarquer que lors du split
qui aura lieu plus de trente ans plus tard, la séparation
reformera ces deux entités originelles…
Mais n'anticipons pas. Nous sommes en 1969, EMI
vient de créer
le label Harvest
pour accueillir les
groupes de la vague progressive naissante et signe nos héros
qui y publieront quatre albums en moins de trois ans. L'actualité
rejoint cette rétrospective, puisque ces quatre albums
viennent récemment de bénéficier de magnifiques
rééditions remastérisées, avec moult
titres bonus.

Le
premier album éponyme sort en 1970 et, fait assez exceptionnel
pour un groupe débutant, il a carrément été
enregistré avec leur propre orchestre symphonique, sobrement
intitulé "The Barclay James Harvest Symphony Orchestra",
qui comprenait bien sûr des cordes, mais aussi des cuivres et
des bois. Le vocable de rock symphonique, tellement galvaudé
depuis, prend ici son sens premier. Malgré ses maladresses, ce
premier album est d'un très bon niveau et contient déjà,
ce qui est très spectaculaire pour des musiciens aussi jeunes,
plusieurs morceaux qui portent ce qui deviendra la "griffe"
BJH.
"The sun will never shine" offre la première
démonstration du son de guitare si magique et si personnel de
Monsieur Lees,
soutenu par les nappes de mellotron de Wooly
Wolstenholme.
"The iron maiden", dont la beauté éthérée
est à des années-lumière du groupe de metal
homonyme qui prêchera le nombre de la bête quelques douze
années plus tard, figurera encore dans la set-list de la
tournée 2000 de Barclay
James Harvest through the eyes of John Lees. Les
arrangements symphoniques fastueux sont remarquablement bien intégrés
au jeu du quartet rock et "when the world was woken" (avec
son orgue réminiscent de Procol
Harum,
qui vient de triompher avec "whiter shade of pale") et
surtout la longue et fascinante suite médiévale "dark
now my sky" (où Lees
s'en donne à
cœur-joie dans ses soli inspirés) sont de grandes
réussites. Inévitablement, BJH
se cherche encore, et
le folkisant et brouillon "taking some time on" et le
rock'n'roll simplet "good love child" ne resteront pas dans
les annales du groupe.
La
réédition CD, rebaptisée "Their first
album", contient pas moins de 13 titres bonus, cela fait
beaucoup en quantité mais malheureusement pas trop en qualité.
Tous ces titres sont antérieurs au premier album, et
proviennent des deux singles sortis respectivement en 1968 et 1969,
ainsi que de chutes de studio et de sessions BBC
(du fameux John
Peel)
de 1968. Le son est très acoustique, le groupe est visiblement
influencé par la pop anglaise de l'époque, se prend un
peu pour les Beatles
("early morning")
et expérimente volontiers dans tous les sens (cf. les
rigolotes ambiances western de "night"). On peut noter les
premières apparitions timides du mellotron sur "eden
unobtainable" et "pools of blue", et la jolie mélodie
de "I can't go on without you", dans le genre folk
bucolique avec flûte, piano et accordéon.

Moins
d'un an plus tard en 1971 sort le second album, il s'appelle "Once
again" et il est déjà l'heure de crier au
chef-d'œuvre ! Ce coup de maître, le meilleur des 4
albums Harvest,
ne fut malheureusement reconnu comme tel que beaucoup plus tard par
les fans du groupe et passa quasiment inaperçu à
l'époque. Pourtant, ça-y-est, toute la quintessence de
BJH
est présente
tout au long des huit plages de l'album. Il y a tout d'abord le
classique des classiques, "mocking bird", morceau-phare du
groupe qui n'a pas quitté leurs set-lists depuis, superbe
suite progressive aux ambiances très réussies, présenté
ici dans une version symphonique avec le BJHSO
sus-mentionné.
Pour ma part, je préfère les versions 100% groupe rock
de "Live" (1974) ou de "Live tapes" (1978).
Toujours en symphonique, la somptueuse "Galadriel", déjà
magnifique trente ans avant que Cate
Blanchett ne
lui prête sa plastique impeccable, est un autre standard du
groupe, tout comme "she said", superbe ballade torturée
et syncopée, où l'on retrouve le fameux binôme
guitare magique/mellotron qui fait des merveilles. Ces trois titres
justifient à eux seuls la légende et l'achat de
l'album, mais le reste, quoique plus méconnu, mérite
également le détour. J'ai un petit faible pour "song
for dying" et son refrain destroy, où la guitare de Lees
fait (une fois de plus
!) des choses extraordinaires, et pour "ball and chain",
dans le genre hard blues récemment inventé par Cream.
Le
nouveau CD comprend 5 titres bonus peu passionnants, à savoir
2 chutes de studio qui auraient pu le rester et 3 remix tout aussi
dispensables. Mais l'album se suffit à lui-même et la
qualité du son est bien supérieure à celle des
rééditions précédentes: indispensable
donc.

Dans
la même année 1971 sort déjà le troisième
album, sous le petit nom de "Barclay James Harvest and other
short stories". L'orchestre change de chef mais reste toujours
présent, d'ailleurs BJH
tourne régulièrement
avec, ce qui est un cauchemar logistique et financier pour un groupe
débutant courant vainement après le succès, et
finira bientôt par causer sa rupture avec EMI.
Mais nous n'en sommes pas là; pour l'instant, la pression du
label se traduit par un rythme dément dans les sorties d'album
et de singles, et, conséquence inévitable, par une
baisse de niveau sensible après le coup d'éclat de
"Once again". "…and other short stories"
contient pourtant le sensationnel "after the day": la
richesse des arrangements entre l'orchestre et le mellotron, la
guitare en érection, encore une œuvre majeure de ce
groupe majeur ! On trouve aussi le futur grand classique "medecine
man" dans une version très symphonique et un peu ratée;
il semblerait d'ailleurs que le groupe s'en soit aperçu
puisque la chanson sera radicalement réarrangée un peu
plus tard. A noter aussi le refrain entraînant de "blue
John's blues", le charme délicat de "the poet"
et le final symphonique sympa de "little lapwing". Le reste
de l'album se laisse écouter mais reste plutôt…
euh… gentillet, très acoustique avec des ambiances
presque champêtres. Un critique de l'époque a écrit
que c'était l'album idéal pour récupérer
après des exploits sexuels intenses, voire pour la digestion…
j'ignore si c'est à prendre comme un compliment, allez savoir
avec les Anglais…
Le
CD remastérisé comprend 6 titres supplémentaires,
dont une chute de studio, "brave new world", qui sera
ressuscitée, retravaillée et complétée 27
ans (!) plus tard pour l'album "Nexus". Mieux vaut tard que
jamais… On trouve aussi 5 sessions BBC,
parmi lesquelles un spectaculaire "she said", et un
"medecine man" enfin habillé du riff génial,
des nappes perverses de mellotron et de la rythmique syncopée
qui ont fait sa légende.

Le
rythme de parution ne se calme pas en 1972, avec trois singles et une
compil ("Early morning onwards") précédant la
sortie en Novembre de "Baby James Harvest". Après un
premier album entièrement cosigné à quatre, et
deux albums de transition où les titres sont signés
soit par le groupe, soit séparément, ce "Baby
James Harvest" ne comporte pour la première fois que des
signatures individuelles, ce qui restera le cas pour tout le reste de
leur carrière.
Le
sommet de ce "Baby" est l'immense "summer soldier",
longue (10'24) épopée brillante avec des bruitages
spectaculaires et une guitare très inspirée, qui
délivre un riff génial dans la seconde partie. Plus
loin, Wooly
Wolstenholme se
prend pour Mahler
dans la suite
symphonique "moonwater", John
Lees expérimente
avec un big band de cuivres sur un "delph town morn" pas
très réussi, tandis que Les
Holroyd pompe
ouvertement (musique et même paroles !) le "space oddity"
de David
Bowie sur
le très sympa "one hundred thousand miles out" et
s'essaie à la ritournelle pop avec "crazy over you"…
il fera (beaucoup) mieux par la suite.
La
réédition CD contient 10 titres supplémentaires,
soit les titres des 4 singles sortis avant et après l'album,
une ultime session BBC
et un nouveau remix
2002 de "moonwater" par son auteur, 30 ans après
l'original. Les chansons des singles sont des formats pop peu
ambitieux pour le style habituel de BJH,
et ressemblent à des efforts désespérés
imposés par la maison de disque pour rentrer dans les charts.
On trouve quand même une nouvelle version studio du fameux
"medecine man", dans une sorte de mise au propre de la
version "session BBC" qui est en bonus dans le CD
précédent. Figure également le dernier single du
groupe pour Harvest, le "rock'n'roll woman" de Les
Holroyd,
premier rejeton d'une grande famille qui se prolongera dans les
années suivantes avec "rock'n'roll star" et
"rock'n'roll lady".
L'échec
commercial de ce single marquera la fin de la carrière de BJH
chez Harvest,
et la grande victime de cette rupture fut John
Lees qui
venait juste de terminer l'enregistrement de son album solo "A
major fancy", que EMI
gardera dans ses
tiroirs jusqu'en 1977. Vers la fin des années 70, en effet, le
groupe commençant à faire sérieusement parler de
lui, EMI
ne s'est pas gêné
pour exploiter ce catalogue dans tous les sens, publiant à
partir de cette époque plusieurs dizaines de compilations plus
ou moins cohérentes, et il fallut donc attendre cet an de
grâce 2002 pour que ces quatre albums bénéficient
enfin des rééditions remastérisées
impeccables qu'ils méritaient: tant pour le son que pour la
recherche des titres, ces quatre CD sont de l'excellent travail, en
série éco qui plus est… Pour les maniaques dans
mon genre qui auraient été déçus de ne
pas retrouver les pochettes d'origine en couverture, sachez qu'elles
se trouvent à l'intérieur du livret et qu'en le pliant
à l'envers, il est possible de les mettre au dessus.
Dans
la foulée de ces quatre CD, EMI
vient de publier, pour
la première fois, le concert de BJH
avec son orchestre
symphonique enregistré pour la BBC
en Novembre 1972. Il
s'agit d'un double album avec le concert en mono sur le premier CD et
en stéréo sur le second. Curieux, non?
Alors
bon, maintenant qu'ils se retrouvent sans label, que vont Barclay
James Harvest devenir? Vous le saurez en
lisant le passionnant deuxième épisode de notre
feuilleton, à paraître dans le prochain numéro.
Ivan
Agosti
Barclay James Harvest Deuxième épisode (Koid9 n°45) : 1974-1978
Barclay James Harvest est
né en 1966 (comme moi !). Ainsi Ivan
débutait-il la
première partie de cette bio.
BJH
/
Ivan
/
Jean-Yves :
même combat des natifs de ce grand cru, qui l’eut cru !
Cela
dit, pas facile de reprendre le flambeau, après cette première
partie excellemment concoctée par l’ami Ivan,
certes toujours vivant, mais promu depuis "envoyé spécial
du Koid'9
outre-atlantique".
On en est tous resté Bush
bée.
Petit
bémol cependant quant à une de ses critiques : je
qualifierais d’inqualifiable le titre "delph town morn" :
une jubilation !
En
ce qui me concerne, c’est grâce à (à cause
de ?) groupes comme BJH,
Supertramp,
Floyd,
etc…, que mon chemin musical m’a amené à
m’abonner à ce formidablissime fanzine que vous êtes
en train de dévorer.
Je
sens poindre dans les rangs une impatience grondante, alors
maintenant que les présentations sont consommées,
poursuivons l’aventure.

Exit
"Emi
/ Harvest"
et le Barclay
James Harvest Symphony Orchestra,
welcome "Polydor",
mais avec – rassurez-vous – les même 4 membres. BJH
tourne une page, mais
la continuité est assurée…
En
effet en 1974, le 5ème
album des BJH
(hors compil’)
voit le jour : "Everyone is everybody else", à
la pochette aussi hideuse que la couverture du Koid'9
n°44 !
(humour, mon bon Nanard,
que j’aime et que j’adore.)
Deux
morceaux "phare", de l’avis même de tous les
fans : "child of the universe" et "for no one".
Le premier fera partie, au même titre que "mocking bird"
ou "hymn", dont nous reparlerons, des grands classiques du
groupe (bien que ne figurant pas sur le live de ’74). Des
paroles plus que jamais d’actualité, un solo de guitare
qui tue sa race.
Sur
tout l’album, l’alternance des voix de John
Lees et
de Les
Holroyd laisse
encore et toujours la magie opérer. BJH
groupe vocal ! Et
quand on sait combien la voix est souvent le point faible, voire le
problème, chez les zicos que nous vénérons, on
ne peut être que profondément respectueux devant une
telle rencontre. A part Gentle
Giant,
les Bee
Gees ou
Spock’s
Beard dans
leurs rares grands moments, peu peuvent prétendre à une
telle qualité, une telle justesse, et je le répète
à une telle magie dans l’exploitation de l’organe !
Et ce depuis le début du groupe… Chapeau les cocos.
Quand
on ajoute à cela les fabuleux claviers de Wooly
Wolstenholme,
la guitare et ses sons tellement caractéristiques (écoutez
donc cette exceptionnelle première face – pour ceux qui
possèdent le vinyle !). Très certainement l’un
des meilleurs albums de BJH,
"for no one" restant à mon avis le Top of the Best
du groupe, avec le plus beau, le plus déchirant son de guitare
jamais produit. Et en plus, c’est de ses paroles qu’est
tiré le titre du disque… Alors hein !

Comment
échapper à l’épreuve du live après
un tel succès artistique ? ! 5 des 11 titres de ce
double album, sobrement intitulé "Live", seront
tirés de "Everyone is evebody else" ! Les
autres ? Les incontournables des années "Harvest" :
"summer soldier", "medicine man", "after the
day" (exceptionnel avec son cocktail mellotron / guitare /
voix), "galadriel", "she said" et le très
fameux "mocking bird". Chaque morceau, revisité de
façon magistrale (avec force mellotron pour les amateurs –
dont je suis), mériterait une ½ page. "For no
one" y atteint une intensité dramatique maximale. Un must
que cette double galette ! Mais attention : dans 4 ans, ce
sera ZE must. Patience… Tout ça pour vous tenir en
haleine. Et en attendant ce célébrissime "Live
tapes", lui aussi double live, visitons les 3 studios qui
séparent ces témoignages publics, véritables
"best of" livrés dans toute leur formidable
démesure.

"Time
honoured ghosts" ouvre le bal, en ’75. Magnifique album,
avec des titres certes assez concis, mais non dénués
d’intérêt. "Jonathan" - bien que trop
court, "moongirl" - très émouvant, "one
night" - tout BJH,
vous emmèneront très loin si vous êtes prêts
pour le grand voyage. A écouter les yeux fermés,
religieusement. Et puis cette superbe pochette, à écouter
les yeux ouverts…

Maintenant,
attention : à nouveau une pochette au design plus
qu’exceptionnel ! De celle qui marque l’histoire, un
peu comme celle de "In the court of the crimson king" ou de
"Just a poke" de Sweet
Smoke.
Et c’est pas peu dire. ’76 accouche de la grand-œuvre
de BJH :
"Octoberon". Une première face, la "face
bleue", rassemble trois monuments du rock progressif, tandis que
l’autre, la "face rouge", se conclut d’une
manière tant majestueuse que tragique avec "suicide ?".
Le meilleur album studio de BJH ?
Difficile de faire un choix objectif, mais celui-ci recèle des
perles rares et injustement méconnues, comme "may day"
et "ra", qui font partie des plus fabuleuses suites jamais
composées.

Un
an plus tard, c’est au tour de "Gone to earth" de
venir frapper très fort. Ceux qui ont la chance de posséder
le vinyle me comprendront quand je hisserai au rang de chef-d’œuvre
cette extraordinaire pochette découpée, écrin de
nouvelles perles de velours qui ne demandent qu’à
caresser nos tympans perpétuellement avides de drogues en clé
de sol. Ou de fa. L’ouverture deviendra LE classique de BJH :
après "sweet Jesus" et bien avant "he said
love", le rock catho déboule avec "hymn", qui
clôturera tous leurs concerts pendant un bon bout de temps.
L’autre monument de cet album n’est autre que le
grandiose "poor man’s moody blues", qui a placé
un solide jalon sur mon parcours initiatique progressif. N'évoquer
que ces 2 titres relève de la gageure, mais il est de mon
devoir, dans le cadre de cette bio, d’opérer une
certaine sélection dans l’abondante discographie de BJH.
Vous connaissez tous l’importante crise du logement qui frappe
notre Koid'9…

J’ai
la chance de terminer par l’album que je recommanderais à
tous ceux qui ne connaissent pas encore BJH,
mais que ces quelques mots réducteurs auront néanmoins
convaincu du côté incontournable de ce groupe. Après
le "Live" de ’74, voici le "Live tapes" de
’78 ! Et qu’on vienne me dire après ça
que BJH
ne joue pas (ne jouait
pas ? ) du prog’ ! Même si "mocking bird"
est le seul rescapé des années "Harvest",
tout y est : le choix des titres, supérieur et de loin à
tous les "Best of" du monde – et Dieu sait qu’il
y en a !, le son, l’ambiance. Et surtout une formidable
générosité des 4 compères qui se
surpassent. Il serait trop injuste pour les autres de mettre un ou
plusieurs titre(s) en avant. Rien à jeter. BJH
à son apogée.
Celui qu’on se DOIT TOUS de posséder. N’hésitez
pas à vous débarrasser de vos Yes
et autres Genesis
si vous manquez de
place ou d’argent. Ou de temps.
On
n’insistera jamais assez ni sur l’incroyable alchimie des
voix de John
& Les,
ni sur le mariage rarement aussi réussi des claviers
analogiques que nous aimons tant et des guitares tantôt
cristallines, tantôt agressives qui nous envolent si haut. BJH
groupe culte ?
Sans aucun doute, en tout cas pour une (large) poignée de
frappadingues de mon espèce, qui auraient tellement aimé
naître non pas en 66, mais un tout petit peu plus tôt,
pour que maman et papa les laissent vivre ces moments-là.
(J’ai vu Barclay
pour la première
fois en 1984 !)
A
bientôt pour la suite de la saga… Ivan,
c’est à vous.
Jean-Yves Huonic
Barclay James Harvest Troisième épisode (Koid9 n°46) : Les années pop (1978-1984)

En
1978, Barclay
James Harvest est
au sommet de son art, mais ce n’est pas une raison pour se
reposer sur ses lauriers. Un an pile après l’album de
référence "Gone to earth" et moins de quatre
mois après les légendaires "Live tapes", les
Anglais enchaînent déjà avec "XII",
dont le titre est une sacrée énigme: j’ai beau
compter et recompter, il s’agit du neuvième album
studio, c’est le onzième album si on compte les deux
lives, mais ça ne fait jamais douze ! Bon, je leur
apprendrai à compter un autre jour… Musicalement, "XII"
s’inscrit dans la lignée de son prédécesseur,
à savoir un rock mélodique raffiné et
intelligent. La dimension symphonique omniprésente lors des
débuts du groupe ne transparaît plus que sur les deux
compositions de Wooly
Wolstenholme :
"harbour" avec ses chœurs classiques en canon, et
surtout le majestueux "in search of england", qui fut
récemment l’un des grands moments de la tournée
"Revival" en 2001. Les deux classiques de l’album
sont "loving is easy" et "berlin", deux titres
bien troussés incontournables de leur répertoire de
scène depuis 25 ans, et qui préfigurent l’orientation
plus pop des albums à venir. J’aime beaucoup aussi le
planant "nova lepidoptera", ainsi que le sympa "sip of
wine" d’un Les
Holroyd par
ailleurs peu inspiré ("turning in circles" et
surtout "giving it up" sont plutôt fadasses…).
Début
1979, Wolstenholme,
qui n’apprécie guère le changement progressif (…)
de direction musicale, abandonne le groupe et s’engage dans une
carrière solo qui se limitera au seul album "Maestoso"
fin 1980. Le claviériste sera exhumé de sa campagne
anglaise vingt ans plus tard par John
Lees pour
le projet Barclay
James Harvest through the eyes of John Lees.
Les
trois survivants décidèrent de ne pas le remplacer et
c’est Les
Holroyd,
ainsi que différents musiciens non-intégrés au
groupe (notamment Kevin
McAlea et
Bias
Boshell),
qui tiendront les claviers dans les albums à venir et sur
scène.

Le
premier album du trio sort fin 1979 sous le titre de "Eyes of
the universe" et dès l’intro de "love on the
line", le changement saute aux oreilles : séquenceurs
et claviers numériques remplacent les vieux sons analogiques
de Wolstenholme
et comme beaucoup de
leurs confrères à cette époque, BJH
amorce un virage pop
assez flagrant. Ils ne vendent pour autant pas leur âme au
diable, et les huit titres de ces yeux de l’univers sont
d’excellente tenue, même si cet univers-là n’a
plus grand chose à voir avec le progressif. "Love on the
line" et "rock’n’roll lady" (dont le riff
est un peu pompé sur "don’t fear the reaper"
de Blue
Oyster Cult et
a même récemment été recyclé en
"docteur renaud mister renard" pour Renaud)
sont les titres les plus connus, mais on aurait tort de passer à
coté de ”capricorn”, mon chouchou de l’album,
au refrain irrésistible, du torturé “sperratus”
ou du planant "play to the world". Lees
s’essaye même
à un pseudo-disco avec "alright down get boogie" ;
le résultat est assez drôle, mais j’ignore si
c’est voulu…

Même
si certains fans de la première heure commencent à
déserter le groupe, la nouvelle direction musicale leur en
apporte plein de nouveaux et Barclay
James Harvest commence
à vendre et même à passer en radio,
particulièrement en Allemagne. C’est ainsi que le single
"life is for living" sort fin 1980 et devient le plus gros
(le seul ?) succès commercial de leur histoire. Il est
regrettable que le groupe soit connu du grand public par cette
chansonnette légère et facile, plutôt que par des
monuments du calibre de "medecine man" ou "poor man’s
moody blues", mais bon, ainsi va le monde… Ce hit-single
ouvre les portes du succès à l’album "Turn
of the tide" qui paraît en 1981, et enfonce le clou du
virage pop de son prédécesseur. Lees
y
balance quelques gros rocks simplets ("death of a city",
"highway for fools") et me paraît quelque peu en
manque d’inspiration, hormis sur les touchants "how do you
feel now" et "in memory of the martyrs". Holroyd
s’en sort
beaucoup mieux, malgré l’utilisation d’un déluge
de synthés, et "echoes and shadows" et "i’m
like a train", quoique peu connus, sont deux petits bijoux.

Un
an plus tard en 1982 sort le troisième album live du groupe,
"Berlin - a concert for the people", curieusement
enregistré deux ans auparavant, soit avant la sortie de "Turn
of the tide"… C’était le 30 Août 1980,
et BJH
a réuni 175000
personnes pour un concert gratuit en plein air sur la pelouse du
Reichstag à Berlin, à deux pas du mur. Bien que
nettement moins excitant que ses deux prédécesseurs
"Live" et "Live tapes" (dont on ne répètera
jamais assez qu’ils sont indispensables à toute
discothèque progressive digne de ce nom !), ce live porté
par un public enthousiaste est d’excellente facture et restera
la meilleure vente de l’histoire du groupe, atteignant même
la première place des charts allemands.

Maintenant
ils sont des popstars (ils ne sont pas passés sur M6,
mais bon la chaîne n’existait pas à l’époque)
et "Ring of changes" sort en 1983 et va encore plus loin
dans le son commercial/FM, porté par la production de Pip
Williams,
qui avait précédemment œuvré pour Moody
Blues ou
Status
Quo.
Cela n’empêche pas l’album de contenir un paquet
d’excellentes chansons, telles que "fifties child"
avec son intro symphonique, l’envoûtant "midnight
drug", qui rappelle un peu le "manifesto" de Roxy
Music,
et surtout l’extraordinaire "ring of changes" qui
préfigure le "just a memory" que Pallas
enregistrera trois ans
plus tard.

"Victims
of circumstance" paraît dans la foulée un an plus
tard avec le même producteur aux manettes, mais s’avère
pourtant nettement moins enthousiasmant. Le groupe enchaîne les
rocks basiques ("hold on", "inside my nightmare")
avec les ballades mièvres ("i’ve got a feeling",
"for your love") et seul le titre d’ouverture
"sideshow" sauve de la noyade cet album décevant,
dont même la pochette est moche…
S’ils
gagnèrent de nouveaux fans à cette époque (dont
moi… je n’ai découvert les premiers albums que
beaucoup plus tard…), ils en perdirent également un
paquet des débuts, notamment en supprimant tout leur ancien
répertoire de leurs set-lists : lors de l’impressionnante
tournée "Victims of circumstance" (Avril - Octobre
1984, 58 dates dont 20 en France et même une escale à
Bercy),
ils n’ont pratiquement joué que des titres de "Ring
of changes" et "Victims of circumstance", le seul
titre antérieur à "Gone to earth" étant
"child of the universe". Etonnant, non ?
Les
membres du groupe semblent alors aussi paumés que leurs
anciens fans, puisqu’un long silence suivra cette tournée
et qu’il faudra attendre trois ans avant l’album suivant.
Mais ça, c’est une autre histoire, et il vous faudra
attendre le prochain numéro et le quatrième épisode
de ce feuilleton pour qu’on vous la raconte. Tuant ce suspense,
n’est-il pas ?
Ivan Agosti
Barclay James Harvest Quatrième épisode (Koid9 n°47) : Les années Messieurs Dames, on ferme ! (1984-2003)
Les
plus perspicaces d'entre vous auront remarqué que ce
feuilleton, au combien passionnant, avait vu deux "chroniqueurs"
prendre successivement la manette dirigeant ce voyage dans l'histoire
d'un des très grands groupes ayant marqué et influencé
la musique que nous prenons tellement plaisir à écouter
aujourd'hui.
L'ami
Ivan
s'est tapé la
1ère
et la 3ème
partie. Quant à
moi j'ai eu la chance de traiter la 2ème,
de loin la plus passionnante, la plus inoubliable. Bref, celle où
figurent les disques que je choisis d'écouter si j'ai envie de
"me faire un BJH".
Moins
de chance cette fois puisque j'ai la lourde tâche de terminer
et de conclure cette saga, et force est de constater que, depuis le
déclin amorcé en 1984, comme vous le disait Ivan,
avec "Victims of circumstance", la pente n'a jamais été
remontée.
Aussi
ne m'étendrai-je pas des heures sur chacun de ces albums, tous
sortis chez Polydor.
Aucun n'est mauvais, non. Le problème c'est que BJH
ne surprend plus. BJH
fait du BJH.
Toujours le même style sans innovation aucune, toujours les
mêmes thèmes – ô combien honorables (peace &
love), toujours parfaitement arrangés et produits, toujours
très sophistiqués, toujours irréprochables
vocalement, toujours très propres et bien chiadés,
toujours agréables, toujours reposants, toujours des tas de
claviers (numériques), toujours de superbes parties de
guitares, toujours… Jamais vraiment prog' par contre. (Mais
qu'est-ce que le prog' ?) Linéaires…
Bon.
Je ne vais quand même pas m'arrêter là ! Alors
passons en revue les disques de cette période.

Allons-y
: 1987 : "Face to face" marque le retour après 3 ans
d'absence. Il faut dire que le rythme infernal d'un album par an a
été abandonné depuis longtemps, mais cela ne
permettra pas à BJH
de retrouver
l'inspiration des grandes années. Cet album sera suivi d'une
longue tournée, avec Bercy comme étape ! Le son est
"moderne", les mélodies vocales très belles.
Le morceau "he said love" sortira en single et connaîtra
un grand succès en Allemagne, décidément la
terre de prédilection pour ce groupe. Après "sweet
Jesus", "hymn", le rock catho (?) est de retour, avec
cette guitare acoustique toujours prédominante. Sans doute 3
morceaux en hommage à notre Ivan
préféré,
dit "JESUS" (Jeune
Envoyé
Spécial
aux United
States).
Pardon. Signalons aussi le magnifique "Kiev", un "slow"
de Les
Holroyd à
la voix plus belle que jamais, même si la réverb' en
fait un peu trop. Le titre "african" est plus original,
avec un John
Lees plus
agressif, mais je n'ai jamais accroché. Le titre commercial
auquel tient ce même Lees
est sur ce disque
l'infâme "panic", avec des chœurs féminins
inutiles, qui sortira aussi en single et même en une version
longue "discothèque" complètement surfaite,
un peu comme Genesis
avec "land of
confusion" (Vous êtes sûrs que cette merde est de
Genesis
? – Ben oui ! –
Bon, d'accord…). Joli titre que "guitar blues", avec
un chouette solo de cette guitare. "On the wings of love"
est sans surprise et cartonne à mort en tournée, tous
briquets allumés, comme pour chauffer le gaz d'un ballon qui
nous envolera très haut.

Le
live de la tournée à laquelle je faisais allusion sort
un an plus tard. "Glasnost" est enregistré en
Allemagne de l'Est en juillet '87, devant une foule évaluée
entre 130 et 170 000 personnes ! Comme son prédécesseur
"Berlin", côté Ouest et 7 ans plus tôt,
ça se passe en plein air et, comme le montre la vidéo
correspondante, c'est très impressionnant ! Toutes les
versions jouées sont dynamisées, par contre ce "Best
of" live rassemble essentiellement des titres récents, à
l'exception du fameux "poor man's moody blues" dans une
puissante version, de "medecine man" exhumé pour une
superbe "revisite", notamment pour ce qui est des voix, et
de l'incontournable "hymn" ou John
Lees en
fait malheureusement un peu trop, avec ce "yeh" récurrent
et insupportable. Signalons aussi la reprise de "Kiev",
plus efficace que jamais – Dieu que Les
Holroyd a
de gros poumons !

BJH
revient
en 1990 avec "Welcome to the show". Dernier
album à sortir en vinyle, et dernier succès. (Je ne
pense pas qu'il faille y voir un rapport !) Pas moins de 4 singles
seront édités en Allemagne ! Dont "cheap the
bullet" qui cartonne fort. Et pourtant pas grand chose à
dire, à mon avis, sur ce disque. BJH,
encore une fois, fait du BJH
et le fait bien.
Mention spéciale pour "John Lennon's guitar", de
John
Lees (même
prénom, mêmes initiales ! ). Après leur premier
hommage aux Beatles
avec "titles"
en '75, BJH
livre ici un des plus
beaux titres composés depuis longtemps, avec le solo qui
déchire sa race maudite, surtout en live. L'horrible
"psychedelic child" est dans la lignée de "panic",
toujours du même auteur. "Where do we go" est le slow
idéal pour emballer, avec sax' et tout et tout, et la
mélancolie qui se dégage de la voix de Les
Holroyd est
décidément plus qu'émouvante. On remarquera
aussi "if love is king" pour sa magnifique intro'.

Avant
de passer à l'album suivant, "Caught in the light",
sorti en 1993, il me faut mentionner la tournée de 1992,
célébrant les 25 ans du groupe en 44 dates, dont le
Zénith de notre belle capitale. L'occasion de livrer sur scène
un véritable "Best of" de toutes ces années.
Alors
venons-en à cet album. Même s'il ressasse toujours les
mêmes thèmes, même s'il est formaté BJH
de chez BJH,
même s'il sera un flop commercial total, il n'en est pas moins
bon que les autres de cette période. Ni plus mauvais. Il
marque cependant le vrai début de la vraie fin. Il est
introduit par le single (allemand – est-ce utile de le préciser
?) "who
do you think we are ?". Du
BJH
(actuel) classique.
Hormis "spud-u-like", qui après "panic" et
"psychedelic child", enfonce le clou de ces tentatives
stériles de John
Lees d'essayer
de conquérir on ne sait quoi, on retiendra "cold war",
à la guitare hispanisante, et "ballad of denshaw mill",
qui rappelle parfois l'émouvant "in memory of the
martyrs" de l'album "Turn of the tide". Et puis
surtout le dernier des derniers chefs d'œuvre de BJH
: "once more",
titre de 7 minutes, doté d'une intro qui titille tout de suite
l'oreille, d'une montée en puissance extraordinaire, et de 2
dernières minutes déchirantes qui, avec une guitare
digne de l'extraordinaire "for no one" de '74, justifient à
elles seules, selon la formule, l'achat du disque. Difficile à
croire, hein, quand on ne sait plus où donner de la carte
bancaire devant toutes les merveilles qui déboulent sur le
marché ? Et pourtant c'est vrai : ce morceau nous emmène
bien au-delà des espérances que l'on aurait pu miser
sur BJH,
au vu des dernières productions. Quel titre ! Tiens, j'vais me
l'réécouter illico ! A tout de suite…

Ça
y est : je l'ai réécouté. Histoire de me
redonner le moral avant de vous parler du dernier album de BJH.
1997 : "River of dreams". Album distribué uniquement
en Allemagne ! Lui aussi débute par un titre single : "back
in the game". RAS. Bel album, avec notamment l'émouvant
"children of the disappeared", le "Mr. E" au
refrain entêtant, "3 weeks to despair" qui fait appel
au sax' et à l'harmonica. Avec surtout le très beau
titre "yesterday's heroes", dont l'introduction fait
penser, en beaucoup mieux, au "you're in the army now" de
Status
Quo (titre
qui m'a marqué puisque j'y étais quand il est sorti…).
Je
ne reviendrai pas sur les albums issus du split de BJH
– ressuscitant
les 2 formations d'origine – qui ont déjà été
traités dans le Koid'9.
Conclusion de cette longue histoire (cette conclusion
n'engageant que son auteur, puisque je n'ai malheureusement pu la
soumettre à JESUS, qui je crois est en congés) :
Ce
n'est pas un hasard si BJH
est
si souvent cité dans les chroniques de votre 'zine préféré,
pour vous aider à vous repérer, un peu comme on fait
référence à Yes,
Genesis,
King
Crimson,
Van
Der Graaf Generator,
ELP,
Ange,
Tangerine
Dream,
etc… Malgré la teneur un peu négative de cette
dernière partie, offrez-vous le "Live tapes" de '78,
et vous vous taperez toute la collec' !
BJH
reste et restera un
groupe incontournable de légende(s), ayant connu un succès
"relatif", excepté en Allemagne. Je me souviens d'un
article qui m'avait à l'époque (tournée '84)
profondément choqué, dans "Ouest-France",
notre putain d'quotidien régional, qui avait pour titre
"Barclay
James Harvest – Les
papys font de la résistance" ! Faut-il savoir s'arrêter
quand il en est encore temps ? Je le répète, les albums
de ces 20 dernières années ne sont pas mauvais –
d'ailleurs ils conviennent parfaitement à un certain public –
mais la magie musicale n'opère plus comme avant. J'ai été
un grand fan et je garde beaucoup d'affection pour ces grands
bonshommes, qui n'ont jamais vendu leur âme au diable.
N'hésitez pas à me contacter si vous souhaitez des
précisions (mais pas des copies !) sur cette impressionnante
discographie que nous n'avons fait, au cours de ces 4 épisodes,
que survoler ; et ce du mieux que nous avons pu. Tchao !
Jean-Yves
Huonic
Chronique mise en ligne le 11/04/2010 et consultée 656 fois |