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Sommaire du n° 92

Paru le 28/04/2015

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The Tangent - Entretien Andy Tillison - Automne 2009 (paru dans le Koid9 n°72)

The TANGENT
Two lost souls swimming in a fish bowl(1)

par Benoît Herr
photos Serge Llorente


C'était il y a quelque 18 mois. Ayant des contraintes le jour même de la promo d'Andy Tillison, leader de The Tangent, à Paris pour "Not as good as the book" (et aussi un peu pour me ménager plus de temps, dans des conditions plus cool, avec l'artiste, avouons le), nous avions prévu, Serge et moi-même, de rencontrer Andy la veille au soir. Après une séance photo sur fond de Montmartre éclairé (cf. photo ci-contre), Serge a regagné ses pénates et je me suis retrouvé seul avec Andy, que je sais très loquace (il m'a déjà fait rater plusieurs sets lors de festivals) et avec qui, je ne le cache pas, j'ai quelques atomes crochus sur des sujets dépassant la simple sphère musicale.
Nous nous sommes alors mis à errer autour de la gare du Nord et plus particulièrement dans le quartier indien (quartier surtout Tamoul et Sri-Lankais, d'ailleurs) de la rue Cail et des rues adjacentes, avant d'aller déguster quelques rotis, dosa et autres spécialités de l'Inde du sud tout en devisant pendant des heures, noircissant la nappe en papier de schémas, cartes approximatives et autres griffonages, sous l'œil curieux et amusé des serveurs anglophones fraîchement débarqués de leur Tamil Nadu natal. Inutile de dire qu'à notre retour à la gare du Nord, les lumières de la ville étaient éteintes. À la place, on trouvait de vieux cartons et autres guenilles que les sans-abri évacués manu militari de la gare disposaient alors sur les bouches de métro pour éviter de mourir de froid en cette nuit de février particulièrement froide. La température de la rue avait encore chuté de quelques degrés depuis que nous avions quitté l'endroit. C'est cette métamorphose d'un lieu qui, quelques heures auparavant lui avait semblé idyllique et qui était devenu une sorte de cour des miracles, qui a fait prendre conscience de la relativité des choses à Andy et lui a inspiré le troisième morceau de "perdu dans Paris", son nouvel opus : "Down and out in Paris and London". Mais il y a bien plus que cela dans ce disque. Voici le récit d'une nouvelle rencontre.


"Benoît, c'est bien toi que j'ai rencontré l'an passé à la gare du Nord ?" me demande l'interviewé en préambule et en français. Nous nous sommes alors confirmé qu'il s'agissait bien des deux mêmes personnes et que le morceau en question relatait bien notre petite escapade de ce soir là.


Andy Tillison : Je me souviens avoir regardé par la fenêtre de ma chambre d'hôtel. Un très bel hôtel, avec une magnifique vue sur Montmartre. Juste ce que l'on s'imagine que Paris, la ville lumière, doit être. Puis, lorsque nous sommes revenus à mon hôtel et que nous nous sommes quittés, l'endroit avait changé du tout au tout. Des gens étaient allongés dans des sacs de couchage à même le trottoir dans un spectacle de désolation et de misère.


Une question immédiate, lorsqu'on découvre ton nouvel album, c'est le lien avec George Orwell (dont le premier livre, paru en 1933, est intitulé "Down and out in Paris and London". NdlR).

Andy Tillison : Rien à voir ! C'est simplement que je traite du sujet des pauvres dans ces deux villes, dans deux des morceaux de l'album. Le premier, nous en avons déjà parlé et tu sais de quoi il retourne. Le second "The company car", a été écrit il y a de nombreuses années et l'un n'a rien à voir avec l'autre. Au final, j'ai pris ce titre en précisant bien dans les notes de pochette qu'il n'y a aucun lien avec George Orwell. (Lorsque quelqu'un est "down and out", en anglais, cela signifie que la personne est SDF, sans travail et sans réel espoir d'améliorer sa situation. NdlR)


Au final, dirais-tu qu'il s'agit d'un concept-album ?

Andy Tillison : Non, ce n'est pas un concept, cette fois-ci, même si certains morceaux sont liés entre eux. D'autres sont liés liés à des albums précédents, comme le premier et le dernier de l'album. En fait, l'ensemble de l'histoire de The Tangent est un concept-album...


J'écoutais le 5ème morceau, "the canterbury sequence volume 2", lorsque le téléphone a sonné. Quel titre étrange...

Andy Tillison : En fait, le titre est "ethanol hat nail", comme tu sais. Ce titre est un anagramme du nom de l'un des groupes de ce mouvement... (NdlR : un coffret de CD à gagner si vous trouvez (2)). "The canterbury sequence" a été particulièrement apprécié. J'ai eu des tas de demandes d'un peu partout pour qu'on le joue. On peut toujours développer quelque chose de différent à partir d'un morceau et c'est ce que nous avons fait avec celui-ci.

Quant aux gens qui se demandent pourquoi on fait une suite, une seconde partie et qui pensent que c'est parce qu'on n'a plus d'idées, je réponds 'Que fait AC/DC par exemple, qui joue depuis des décennies les deux mêmes morceaux ?' Au contraire, nous avons réellement créé quelque chose de différent sur cette seconde partie.


Que peux-tu nous dire au sujet des directions musicales que tu as prises avec cet album ? Est-ce la suite logique de ce qui précède ?

Andy Tillison : Comme tu le sais, bon nombre des chansons que j'écris racontent des histoires de gens, histoires qui peuvent être réelles, avec de vrais gens, comme par exemple mes enfants ("A place in the queue") ou encore Ernest ("In Earnest"). Mes enfants ont complètement changé depuis la dernière fois que j'ai écris à leur propos. Et le premier morceau de l'album, "where are they now ?" est en réalité une série de vignettes mettant à jour le statut de tous ces personnages qui ont émaillé la musique de The Tangent.

"The canterbury sequence volume 2" est également la suite du volume 1, bien sûr. C'est juste la poursuite des idées et des techniques utilisées à cette époque. Quant aux paroles, elles demandent à l'auditeur s'il a lui faut réellement tout ce qu'il a juste parce qu'il peut l'obtenir pour rien. Tu sais, j'ai eu ce genre de discussion l'an passé avec des gamins de Leeds, dans le Yorkshire. Ils avaient 16, 18 ou 20 ans, vivaient dans le même immeuble que moi et aimaient vraiment la musique. Ils allaient dans les festivals et écoutaient de la musique toute la journée. La seule chose qu'ils n'avaient pas, c'est un CD. Jamais, au grand jamais n'ont ils acheté de la musique, quelle qu'elle soit. Ils se contentent de la télécharger gratuitement. Ils appartiennent à la première génération de gens qui ne se souviennent pas de la vie sans l'Internet. C'est un peu comme la télévision pour toi et moi. Et ça change tout dans la vie : ils estiment qu'on n'a pas à payer pour la musique. Je me demande quelle valeur ils accordent à la musique.

Autre anecdote : j'ai un jour vu une pub qui disait "Achetez une bouteille de Coca et téléchargez n'importe quelle chanson gratuitement depuis iTunes". Autrement dit, en achetant une bouteille de Coca, je peux me procurer "blowin' in the wind" de Bob Dylan. Ou "siberian khatru" de Yes. Ouaaaahhhh ! La musique devient un gadget, maintenant, un cadeau-bonus. En achetant un Coca on en reçoit un peu pour rien. Ça signifie donc que la musique a perdu toute valeur. Je n'ai pas forcément de réponse, mais au moins ça a le mérite de poser les questions.

"Perdu dans Paris"... ben, tu y étais, donc je n'en parle plus.

"Paroxetine – 20 mg" est le nom du médicament que je dois prendre mais que je n'ai pas envie de prendre. Je ne peux plus arrêter, médicalement parlant. Non pas que je sois dépendant, mais quand on ne les prend pas on devient très malheureux. J'aurais mieux fait de ne pas les prendre au moment où on me les a prescrits. C'est une drogue légale.

"The company car" raconte la vie des jeunes sous les cieux gris d'Angleterre, sans argent. C'est ce titre et "perdu dans Paris" qui ont donné leur titre à l'album, mais les sujets abordés sont bien plus larges.

Et puis il y a encore "everyman’s forgotten monday", le titre bonus. Celui-ci traite de la Birmanie. Je l'ai écrit il y a très longtemps, dans les années 80. Tu sais que la situation en Birmanie est terrible, avec ces familles tuées, ce génocide. Et dans les années 80 c'était très difficile d'avoir des informations sur le sujet, jusqu'au jour où il y a eu un reportage terrifiant à la télé. Et le lendemain, les journaux n'en parlaient même pas. Le programme s'appelait Everyman. D'où le titre du morceau. En 2008, il y a eu la tragédie que tu sais, en Birmanie. J'ai alors décidé de remettre ce morceau au goût du jour.

Par ailleurs, tu sais que l'un de mes claviéristes préférés est mort l'an passé : j'ai nommé Rick Wright. D'ordinaire, j'essaie de faire en sorte que la musique de The Tangent ne sonne pas trop comme du Pink Floyd, mais j'ai fait une exception ici, juste pour dire 'Merci Rick'. Pink Floyd a joué un rôle énorme dans le rock progressif. Il est impossible de faire un album sans y faire référence d'une manière ou d'une autre. Dans le cas particulier, on retrouve surtout des références à "welcome to the Machine".


Tout ce que tu viens de nous dire est très intéressant. Mais je note que je t'ai posé une question sur ta musique et aussitôt, tu es revenu aux textes et aux histoires que raconte ta musique, mais pas à la musique en elle-même (sauf à la fin, en évoquant "Everyman’s forgotten monday" et Rick Wright). Je reformule donc ma question : comment décrirais-tu ce nouvel album musicalement parlant et comment le compares-tu aux précédents ?

Andy Tillison : Musicalement, nous avons effectivement poursuivi sur notre lancée et cet album est un album de The Tangent traditionnel. Nous savons ce qu'aiment les gens et nous leur donnons ce qu'ils aiment, en expérimentant toutefois des choses que nous n'avons jamais essayées auparavant. Le premier morceau est vraiment mélodieux. J'en suis assez content. Plus généralement, la dernière fois je crois t'avoir dit que je ne pensais que l'album "Not as good as the book" n'était pas le meilleur que nous ayons fait et pensais qu'il s'agissait de "A place in the queue". Ceci n'était d'ailleurs pas forcément du goût du label... Mais aujourd'hui, je dis que j'aime vraiment, vraiment, vraiment beaucoup celui-ci, autant que "A place in the queue", qui a toujours été mon préféré. J'aime les histoires qu'il raconte, j'aime le son du groupe, qui est vraiment excellent.

Nous avons une section rythmique anglaise, cette fois-ci, ce qui met fin à une longue relation que nous avions avec les Flower Kings, qui ont été fantastiques tout au long de ces années. Ils sonnent différemment, sont moins en retard sur le temps. Bref, ils sonnent plus anglais. C'est un peu ce qu'attendent les gens de The Tangent, je crois : le changement dans la continuité, comme par exemple sur "paroxetine – 20 mg", où l'on trouve des tas de techniques modernes, de machines, d'effets sonores inédits pour The Tangent, des voix distordues et ce genre de choses. Sur "the company car" on retrouve des influences de Joni Mitchell, qui est l'une de mes musiciennes préférées de tous les temps.

Nous avons utilisé ces différentes influences de différentes manières et je ne pense pas que cet album sonne simplement comme un nouvel album de The Tangent, même si les gens vont le prétendre, ce dont je ne doute pas. Évidemment, même si nous essayons de le faire, il est impossible de faire un album complètement original et inédit à chaque fois.


Où as-tu trouvé ton nouveau batteur, Paul Burgess ?

Andy Tillison : Paul Burgess vit à 10 minutes de chez moi. Ça aide un peu... En fait il connaît bien Jonathan Barrett, qui était dans PO90, comme tu sais, Il a joué avec Magna Carta, mais aussi Jethro Tull, Camel... et est toujours encore le batteur de 10cc. Il a été depuis les années 70 et est toujours très occupé. J'espère que nous arriverons à l'avoir sur le prochain album !


Et qu'en est-il des autres membres du groupe, dont Jakko Jakszyk, notamment ?

Andy Tillison : Jakko intervient à la guitare sur un seul morceau : "perdu dans Paris". C'est toujours très sympa de l'avoir parmi nous. Sinon, je prends en charge les autres parties de guitare moi-même.


Et qu'y a-t-il d'autre dans le pipeline, maintenant ? Une tournée ? Un nouvel album ?

Andy Tillison : Évidemment, nous aimerions jouer en live cette année. Cependant, je vais d'abord donner mes deux premiers concerts avec PO90 depuis 2002, ce qui est super. Je rappelle qu'il y a un tout nouvel album de PO90, intitulé "Jitters". Et puis je vais aussi sortir un album avec Guy Manning. Il y aura juste nous deux. Ça aussi, ça sortira quelque part l'année prochaine.

Comme tu le vois, le travail ne manque pas, mais au milieu de tout ça nous allons essayer de tourner avec The Tangent. J'aimerais bien amener les deux groupes en Europe en 2010, mais rien n'est défini pour l'instant.


Tu commentes longuement le line-up de The Tangent sur ton site Web. Quel est le panorama global que tu peux nous brosser en la matière ?

Andy Tillison : le line-up a toujours été problématique. Nous ne sommes plus très jeunes et ne pouvons pas tout simplement nous réunir et jouer. Nous avons tous des obligations familiales, professionnelles, sans compter tous les engagements musicaux des uns et des autres à droite et à gauche. Mais dans le même temps j'ai besoin de très bons et très expérimentés musiciens. Il est donc très difficile d'avoir un line-up permanent, ne serait-ce que parce que The Tangent n'est pas à même de subvenir aux besoins de membres permanents. C'est triste, mais c'est ainsi, principalement pour des raisons de disponibilité.


Sinon, une question un peu plus personnelle : tu es toujours aussi souvent en France ?

Andy Tillison : j'y suis allé en début d'année avec ma fiancée. Nous avons apprécié le séjour. Mais j'habite à nouveau dans le nord de l'Angleterre. C'est là que j'ai mes racines.


Et bien merci Andy pour ton temps et ta musique.


1 - Référence à des paroles de chanson, bien sûr. Mais laquelle ? Question à 100 balles qui sera intégrée dans le prochain jeu-concours de Koid'9, en 2050 (règlement disponible auprès de maître Dugenou, notaire à Gien).

2 - Non, je déconne. Il n'y a aucun coffret de CD à gagner. Le Koid'9 n'est pas aussi riche. Allez, pour la peine je vous donne le nom du groupe en question : Sécurité Sociale, plus connu sous le nom de National Health. Andy a choisi ce groupe parce que de nombreuses techniques qu'il utilise l'ont été à l'époque par National Health, qui est l'un des de ses groupes préférés.

A lire, réalisée par Lord Prog One et parue dans le même numéro de Koid9, la chronique de Down And Out In Paris And London

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