Un souffle de fraîcheur sur le rock progressif
anglais
Entretien
avec Jem Godfrey de FROST*
Propos recueillis par Marc
Moingeon - juillet 2006
Cet été, alors
que la canicule de juillet allait bientôt céder la place
au mois d'août le plus frisquet et le plus pourri que j'ai vu
de ma vie, est sorti le premier album de ce groupe au mystérieux
nom de Frost*. Y aurait il un rapport ?
(Frost = Froid !). Pas musicalement en tout cas ! Frost*
est une sorte de supergroupe comprenant l'omniprésent John
Mitchell, la section rythmique de IQ,
autrement dit John Jowitt
et le nouveau batteur Andy Edwards, et un total
inconnu du nom de Jem Godfrey aux claviers et au
chant… Ce qui est surtout surprenant, c'est que Frost*
est le bébé à 100% de cet inconnu, dont les
activités de producteur et d'arrangeur se limitaient depuis
des années au milieu de la pop et de la disco anglaise, genre
Atomic Kitten, Britney Spears,
etc.
Pour aussi incongru que cela
puisse paraître, Jem Godfrey a pourtant
été bercé aux doux sons de Genesis
durant une bonne partie de sa jeunesse et a décidé de
se remettre au progressif récemment, mais cette fois en tant
que compositeur, claviériste et chanteur ! Le résultat,
c'est "Milliontown", une des plus belles surprises de cette
année 2006. Empreintant à la fois à ses maîtres
du passé aussi bien qu'à Porcupine Tree,
IQ et Kino, sans parler de
sa culture pop plus actuelle, Jem Godfrey,
magnifiquement secondé par ses trois acolytes, a accouché
d'un album à la fois traditionnel et novateur, furieusement
dynamique, mélodique, à la fois rock et symphonique, un
album varié et instrumentalement très brillant …
Un coup de maître.
Il
était donc plus qu'indispensable de faire connaissance avec
cet OVNI anglais… L'interview téléphonique ayant
été annulée, nous nous sommes rabattus sur
l'Internet. Rencontre avec un musicien pas comme les autres.
Il était donc plus
qu'indispensable de faire connaissance avec cet OVNI anglais…
L'interview téléphonique ayant été
annulée, nous nous sommes rabattus sur l'Internet. Rencontre
avec un musicien pas comme les autres.
On
peut dire que Frost* et "Milliontown" sont un peu sorti de
nulle part. Même si le groupe compte 3 membres connus, c'est
vous qui en êtes le fondateur compositeur exclusif. Pouvez-vous
nous rappeler un peu votre parcours musical ?
Jem
Godfrey : Mon éducation musicale au sens
traditionnel du terme a été très limitée.
On peut dire plus ou moins que mon professeur de piano a été
Tony Banks ! J'ai suivi environ 6 mois de cours de piano
quand j'avais 9 ans et puis j'ai abandonné. Après cela,
j'ai passé toutes mes vacances scolaires à apprendre à
jouer des morceaux de Genesis – "in the cage",
"los endos", firth of fifth", "supper's ready",
"cinema show", etc. Au moment où j'ai eu 14 ans, je
me suis aperçu que j'avais développé une
technique suffisante pour donner vie à mes propres idées.
J'ai alors rejoint un groupe de blues local, et nous faisions des
concerts le soir pour nous faire de l'argent de poche. A 17 ans, je
faisais la première partie de IQ au Marquee avec le
groupe de prog de mon frère, Freefall. Après
quelques années, le groupé s'est séparé
et je me suis mis à travailler à Virgin Radio, une
radio anglaise nationale. De là, je suis parti à la BBC
Radio 1, la plus grosse station de radio pop en Angleterre. Une
rencontre fortuite dans un pub m'a conduit à rentrer en
contact avec un gars qui démarrait une nouvelle compagnie dont
l'objectif était d'écrire des chansons pop. La première
réalisation que nous ayons faite, c'était le single de
Atomic Kitten, "whole again", qui s'est classé
n°1 pendant 2 mois en Angleterre et s'est vendu à près
de 2 millions d'exemplaires dans le monde. Après ça,
nous avons produit et mixé "kiss kiss" par Holly
Vallance qui a été également n°1 en
Angleterre. Et ensuite "the tide is high" pour Atomic
Kitten, encore un n°1 pendant trois semaines l'année
d'après. Après cela, j'ai fait la chanson du gagnant du
X-Factor qui est restée n°1 un mois. En mai, j'ai reçu
un trophée Ivor Novello en tant que compositeur pour le single
le plus vendu, pour le même morceau.
Et
puis ensuite, je suis revenu au progressif… que j'avais
vraiment oublié pendant des années. J'ai eu envie de
composer dans ce genre-là. J'ai acheté tout un paquet
d'albums et j'ai essayé d'entrer en contact avec les musiciens
qui jouaient sur ceux que j'avais préférés. J'ai
eu de la chance car John Mitchell, John Jowitt et Andy
Edwards (le nouveau batteur d'IQ) ont tout de suite
répondu oui.
Certaines
personnes disent que le rock progressif ne fait aujourd'hui que
reproduire le passé, imiter des groupes tels que Yes et
Genesis. On en est arrivé au point que certains musiciens,
notamment en Angleterre, semble-t-il, ne veulent surtout plus être
associés à cette étiquette, notamment Steven
Wilson de Porcupine Tree, qui est d'ailleurs parfois assez critique
avec des groupes du genre… Que pensez-vous de ce phénomène ?
Je
suis d'accord jusqu'à un certain point. Une chose assez
surprenante pour moi qui suis resté à l'écart de
la scène progressive pendant près de 15 ans a été
que peu de choses avaient changé entretemps. Il y avait
toujours ces bons vieux son mellotron (y compris chez Porcupine
Tree !), les mêmes solos de Moog tourbillonnants. En
fait, je blâme surtout un certain nombre de claviéristes
dans le prog. On dirait qu'ils ont tous de petites têtes et peu
d'imagination. D'un autre côté, il y a de fantastiques
ambassadeurs pour le rock progressif, à commencer par
Porcupine Tree, Man on Fire, Darwin's Radio,
Kino, et aussi Spock's Beard bien sûr. Je trouve
qu'il y a des signes très nets de progression. Je suis très
optimiste, en fait.
Vous
avez demandé à deux membres de IQ et à l'un des
membres d'Arena et Kino de vous rejoindre pour former Frost*, et
pourtant ces deux groupes reçoivent plus que leur compte du
genre de critiques auquel vous venez de faire allusion… Que
pensez-vous d'eux ?
Je
pense qu' Arena a produit de bons morceaux, mélodiques.
Je ne suis pas totalement familier avec leur œuvre. Mais j'aime
beaucoup "Contagion", notamment un morceau comme "skin
game". J'aime IQ pour tout leur côté un peu
"gothique", en voilà qui aiment les accords
mineurs ! (rires) Et le solo de clavier de Widge (surnom
de Martin Orford -NDR) sur "headlong" ("The wake")
est toujours dans mon top 5 des meilleurs solos de tous les temps !
Avez-vous
été en contact avec d'autres musiciens pour former
Frost* ?
Il
a été question à un moment que Nick
D'Virgilio joue la batterie, en fait.
On
dit que vous vous êtes replongé récemment dans le
prog en achetant une quarantaine d'albums…
A
part Arena, IQ et Kino, quels étaient les autres groupes et
quels sont ceux que vous avez le plus aimés ? Le moins
aimés ?
J'ai
donc acheté des albums de Darwin's Radio, Man On
Fire, Pendragon, The Urbane, Spock's Beard,
The Flower Kings, Magenta, Jadis, Steve
Thorne, Magrathea, Ray Wilson, Marillion,
tous les suspects habituels en fait. Je connaissais la plupart de ces
artistes. Mais cela ne serait pas poli de dire lesquels j'ai aimés
et lesquels je n'ai pas aimés (rires).
A
quel point vos morceaux étaient–ils finalisés au
moment où vous avez recrutés les autres musiciens pour
enregistrer "Milliontown" ?
J'en
ai écrit une grosse partie au piano. Ensuite, j'ai fait des
démos, que j'ai présentées à des degrés
divers de finalisation aux gars. Ensuite, ils ont ajoutés
leurs parties et j'ai fait les parties vocales et j'ai mixé le
tout.
Quelle
est votre méthode pour composer et pour enregistrer ?
Je
travaille principalement avec un dictaphone. Je n'arrête pas de
chanter des petits trucs que j'enregistre. Ensuite, j'essaie de faire
le tri et de rassembler les morceaux qui vont ensemble en un tout
cohérent. Quand je n'ai pas assez de pièces, j'en écris
de nouveau pour remplir les trous. J'essaie de toujours enregistrer
dans mon propre studio qui s'appelle "The Cube".
Certains
de vos morceaux contiennent beaucoup de guitares par moments, et pas
beaucoup de claviers (comme le riff de "no one like you"
qui sonne assez metal). Je me demandais comment vous composiez ces
parties là ?
Ah,
ça, initialement, c'était joué au piano à
travers un effet de distorsion. C'est fou comme un piano et une
guitare peuvent sonner de façon similaire si vous traitez le
son de façon adéquate ! (rires)
On
pourrait dire que Frost* contient pas mal de points communs avec
Genesis et IQ (pour les solos de claviers dignes de Tony Banks
parfois !), Porcupine Tree et Kino, pour le côté
plus expérimental, les guitares parfois un rien grungy, les
voix et les claviers dont les sons sont traités bizarrement…
et puis la pop pour certains airs, les boucles rythmiques, etc. Vous
seriez d'accord ?
Complètement
d'accord avec vous. Je pense en particulier que le son est fait pour
déconner avec ! Tout ça vient de mon admiration
pour Peter Gabriel et son approche intrépide du design
sonore. Il m'a vraiment ouvert les yeux quant aux possibilités
soniques de choses aussi simples qu'une fenêtre cassée
ou un pavé qu'on frotte… Et en ce qui concerne les
boucles de percussion, je pense que si ça colle avec ce qu'on
compose, alors pourquoi ne pas les utiliser ?
Vous
dites avoir aussi écouté Spock's Beard, mais est-ce que
cela vous a inspiré, ce n'est pas évident…
Je
n'étais pas très amateur du groupe jusqu'à ce
que j'écoute "V". Je trouve que c'est une œuvre
remarquable. Cela pourrait m'influencer pour le prochain album. Mais
peut-être pas d'une façon évidente…
Quelle
a été votre inspiration pour certains éléments
aux consonances plus ou moins orientales (flûte, chœurs,
parties parlées échantillonnées) ?
La
flûte arabe est un son qui vient de mon synthé Roland V,
un petit objet étonnant. Je suis un grand amoureux de la
musique moyen-orientale. Egalement des chœurs bulgares, le
Chœur National de l'Etat Bulgare. Leur musique traditionnelle
est parmi les musiques les plus belles et les plus puissantes qui
soient.
Vous
avez partagé en partie les vocaux avec John Mitchell mais,
apparemment, votre voix est assez proche de la sienne. Alors, qui
chante quoi ?
John
chante en partie sur "black light machine", il a aussi fait
beaucoup de choeurs. Nous avions prévu de l'utiliser sur
davantage de morceaux mais on n'a pas pu faire converger nos emplois
du temps suffisamment pour ça et nous avons été
pris de court. Il chantera beaucoup plus sur le prochain album.
OK,
la question n'est pas originale (vos réponses le seront
peut-être plus !) mais quels artistes vous ont le plus
influencé, à votre avis ?
Peter
Gabriel, en particulier. "Peter Gabriel 3" et "PG
4" ont été très importants dans ma vie.
Genesis, de toute évidence et puis ensuite je m'écarte
vraiment de la norme : j'adore The Cardiacs,
de même que Jane Child, Human Radio, Jellyfish,
David Gamson, Britney (Spears… ? on ne
voit pas où elle a pu l'inspirer, lui ! - NDR).
La
musique sur "Milliontown" est assez contrastée,
c'est le moins que l'on puisse dire. Comment savez-vous quelle partie
va coller avec une autre ? Comment décidez-vous qu'un
titre calme et court comme "snowman" doit rester calme et
court, tandis que d'autres pièces seront accolées avec
des sections plus dynamiques pour évoluer vers une longue
suite ?
J'aime
l'ombre et la lumière. Je voulais que chaque morceau soit
différent des autres. Certains ont critiqué l'album en
disant qu'il manquait de cohérence, mais ils n'ont pas
compris. L'album est supposé être un petit voyage à
travers différentes humeurs. Si je l'avais rempli avec 60
minutes de mellotron et d'histoire de pourfendeurs de dragons, avec
un solo de guitare ou de clavier toutes les 20 secondes, je pense que
je serai mort d'ennui. Je me suis fixé une règle : pour
chaque partie bruyante, il devait y avoir une partie paisible, et
pour chaque partie compliquée, une partie simple. Pour chaque
morceau long, un autre court. Comme ça, je trouve que l'album
atteint un certain équilibre.
Et
qu'en est-il des paroles ? De quoi parlez-vous dans ces
chansons ?
Chaque
morceau a un sujet différent. "No me no you" parle
de l'aliénation des gens, "snowman" de la peur de la
mort, "the other me" est un titre à propos du
clonage, "black light machine" traite des dangers de la
télé, "milliontown" parle d'un mort à
qui on a donné 7 jours pour tuer d'autres gens comme épreuve
d'entretien d'embauche…
S'il
doit y avoir un autre album, quelle en sera la direction, car je sens
que vous n'aimez pas vous répéter… Avez-vous
déjà des idées ?
Bonne
prédiction ! Nous comptons bien faire un autre album !
Non, je n'aime vraiment pas me répéter, je crois que le
prochain album contiendra plus d'instruments à cordes de
toutes sortes. Il y aussi beaucoup de nouvelles textures sonores.
C'est
quoi, cette apparente obsession pour les cabines téléphoniques
(cf. l'illustration du livret et il en a une vraie dans son jardin !)
Je
n'ai pas vu Londres sur un livret d'album depuis un bon moment, et je
voulais que l'album ait une tonalité anglaise. Qu'est ce qui
pourrait bien faire plus anglais qu'une de nos cabines téléphoniques
rouges ?!
L'astérisque
accolé à droite du mot "Frost", c'est pour
figurer un flocon de neige, au fait ? Pourquoi avoir choisi ce
nom ?
C'est
exactement ça. Quant à mon choix, j'aimais ce mot.
Joli, moderne. Rien à voir avec les magiciens, les dragons, ou
d'autres sottises typiques du progressif qui n'améliorent pas
les relations du genre avec le monde réel. (NDR : Oui,
enfin, ça, ça n'engage que lui… Genesis ne
faisait pas trop dans le réaliste !)
Qui
est ce John Boyle crédité aux guitares supplémentaires…
Oh,
lui… il est un peu comme le Squonk (Genesis – A trick
of the tail - NDR), si je vous dis qui il est réellement,
il risque de disparaître ! (???!)
Vous
allez jouer bientôt des concerts à quatre,
comment allez-vous faire pour reproduire vos arrangements qui sont
assez riches ? Vous n'avez que 5-6 dates de prévues en ce
moment. Il y a des chances que d'autres viennent s'ajouter ? La
France peut-être ?
C'est
exactement la question que je suis en train de me poser en ce moment
même !!! (rires)
Nous
voulons absolument venir jouer en France, bientôt avec un peu
de chance. Nous allons ouvrir pour les Flower Kings à
Londres en décembre, et nous jouons au ROSFest aux USA en
avril 2007. Alors n'hésitez pas à consulter
www.frost-music.com pour avoir des nouvelles fraîches…
Voir la chronique de Milliontown
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