
Suite à un mystérieux
problème, l'interview de Gwenaël Kerléo parue dans
le n°75 (page 41) s'est retrouvée amputée de
quelques questions et réponses. La voici ci-dessous dans son
intégralité, agrémentée de quelques
photos prises sur le vif par Daniel sur son portable lors du
concert au Parc des Dryades à La Baule le 19 août
2010. Toutes nos excuses à Gwenaël. Bonne lecture.
Bonjour
Gwenaël, tout d’abord, pouvez vous vous présenter
pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore , en définissant
votre style musical en tant que Harpiste chanteuse ?
Pour
commencer, je me présente toujours comme une artiste qui
compose ses propres œuvres. Ainsi, je n’interprète
pas sur ma harpe d’airs traditionnels bretons même si je
m’appuie sur une tradition bien vivante pour créer mes
propres musiques. J’aborde la création de façon
très instinctive, me laissant guider par mes émotions.
Ainsi, ma musique est à mon image, elle reflète mon
univers intérieur. Bien mieux que des mots, elle traduit avec
sensibilité ce que je suis, ce que je ressens. Il est
important de préciser que c’est une musique
essentiellement instrumentale, même si je viens au chant, petit
à petit, avec beaucoup de bonheur. Un ami conteur qui me
connaît bien a écrit ces quelques mots pour décrire
mon univers. Cela disait : « Il y a chez Gwenael Kerleo
un intervalle entre les notes, un temps de latence ouvert sur
l’imaginaire, un façon d’attaquer la corde qu’on
ne voit et n’entend nulle part ailleurs. Elle vous entraîne
dans des espaces sonores et visuels que vous n’auriez jamais
exploré tout seul, dans des méditations paysagères
essentiellement bretonnes, dans une tranquillité profonde qui
vous apaise ».
Gwenaël,
je vous ai découverte il y a plusieurs années par
l’intermédiaire d’un ami, ayant créé
une revue traitant de musiques celtiques « Why Notes » ,
c’était avec l’ album ″ Chemin de brume ″,
j’ avais énormément apprécié à
l’époque. Quel a été votre itinéraire
d’ harpiste chanteuse depuis ? Y a-t-il eu de gros changements
par rapport à « Pevar » votre dernière
réalisation ?
« Chemin de brume » a
marqué un tournant dans ma carrière. C’était
le moment où j’ai fait le choix de vivre de ma musique.
Je ne savais pas où j’allais, mais je savais que c’était
le chemin que je devais suivre. Avec « chemin de brume »,
je découvrais l’univers de l’improvisation,
puisque j’avais eu la chance de rencontrer des musiciens issus
du milieu jazz. Cela a donné une nouvelle liberté à
ma musique. Ce fut aussi le début des tournées à
l’étranger, et essentiellement la rencontre avec le
public Italien qui depuis, m’accueille toujours très
chaleureusement. Ensuite, j’ai eu une période plus
calme musicalement. Ce fut une période où je me suis
beaucoup consacrée à ma vie de famille et surtout de
maman. Puis j’ai enregistré « Yelen » en
2003. C’était une œuvre pour harpe solo, harpe
celtique naturellement. Je souhaitais composer une œuvre dédiée
à cet instrument. Je voulais le faire résonner
autrement, montrer ses possibilités : faire entendre la
finesse du son cristallin de ses aigus et la profondeur de ses
basses, les subtiles harmonies créées par des notes
égrainées et la richesse des accords parfois
volontairement dissonants. Ce fut pour moi une belle rencontre avec
mon instrument. « Yelen » reste une œuvre à
la quelle je suis beaucoup attachée et que je donne en concert
dans des espaces qui permettent une qualité d’écoute
que nécessitent ces musiques. Ce sera le cas prochainement en
Russie, où je serai en tournée fin octobre début
novembre. Priez pour moi pour que je n’ai pas trop froid car je
dois donner un concert le 2 novembre à Novossibirsk, au plein
cœur de la Sibérie ! …
Après cette
période « solo », c’est avant tout de
rencontres et d’échanges dont j’avais besoin. Avec
des musiciens, avec le public aussi. Cela a donné naissance à
« PEVAR », mon quatrième album qui est sorti l’été
2009. Cet album, sans trahir mon univers musical relativement intime,
se colore cependant d’une intensité nouvelle. Je
souhaitais proposer une musique plus adaptée aux scènes
des festivals. Et c’est ainsi que, entourée de 7
musiciens, je me suis produite cet été là sur la
scène du festival de Cornouaille et des Vieilles Charrues.
J’ai également été invitée à
donner un concert à Tokyo à l’occasion de la
Saint-Yves. Tout ça furent de très belles expériences.
Pour
nos lecteurs qui sont plutôt des passionnés de musiques
appelées « Rock progressif », connaissez vous des
artistes à part Alan Stivell, bien sûr, je pense à
des groupes comme Iona entre autres, qui ont su faire la synthèse
entre les deux genres ?
Je ne connais pas très bien
les groupes qui évoluent dans ce courant musical et je vais
m’empresser d’aller découvrir le groupe Iona
dont vous me parlez. En tout cas je reste fidèle à Alan
Stivell. Sa façon d’innover est toujours
extraordinaire.
Je
vous considère comme une formidable harpiste, et sur scène,
vous dégagez énormément d’énergie,
du fait même que vous vous servez de votre harpe et la tenez
comme une guitare, le sentez vous comme ça, ou est- ce une
impression que j’ai ?
Merci pour les compliments
! En effet c’est une vraie révolution de pouvoir
bouger sur scène. Cette harpe est exceptionnelle ! Enfin je
peux bouger, me déplacer sur scène. Cela change tout.
Quel bonheur de partager ainsi la scène avec mes musiciens. Et
c’est bien le plaisir d’être sur scène avec
eux, ces échanges de regards, de sourires, qui me donnent
toute cette force et cette énergie.
On
comprend à travers votre musique, la passion que vous avez
pour cette Harpe Celtique, passion que je partage, connaissez vous
Loreena Mc Kennit qui évolue à mon avis dans votre
registre vocal et musical ?
Bien sûr et j’apprécie
beaucoup sa musique. Je suis d’ailleurs allée l’écouter
l’an passé au festival Interceltique de Lorient. J’aime
la belle place qu’elle offre aux percussions, sa façon
aussi de mettre en valeur les musiciens qui l’entourent. Et
puis au-delà de ça, elle a vraiment un bel univers
musical qui me touche.
Une
question me brûle les lèvres : connaissez vous Andréas
Vollenweider, un harpiste suisse que j'adore ?
Oui je
connais la musique d'Andréas mais n'ai jamais eu la
chance de le rencontrer. C'est un vrai artiste avec un son à
lui, un univers à lui. Sa musique me fait parfois penser à
celle de Vincenzo Zitello, un ami harpiste italien que vous
connaissez sans doute, que j'apprécie énormément.
Je
vous ai vu en concert avec 3 autres magnifiques musiciens, je sais
que vous jouez dans des formats différents, quel est celui
dans lequel vous vous sentez le mieux ?
Merci pour eux !
Et c’est vrai qu’ils sont magnifiques, je mes adore…
Il est difficile de répondre à cette question.
J’aime beaucoup cette formule en quatuor, il y un un bel
équilibre entre les différents instruments, et sur
scène, une belle complicité entre nous quatre. En
solo, c’est autre chose. L’énergie est
naturellement très différente. Je suis je crois plus
habitée par mes musiques, mais c’est aussi le répertoire
qui veut ça. Surtout quand je joue « Yelen » seule
devant un millier de personnes comme c’est souvent le cas en
Russie dans des salles Philharmoniques, c’est énorme ce
qui se passe. Il y a une qualité d’écoute
extraordinaire. Surtout lorsque je suis dans un moment où
j’égraine juste quelques notes dans les aigus, en
laissant les silences durer le plus longtemps possible, et que pas un
bruit ne vient perturber cette musique murmurée, alors là
c’est vraiment très fort.
Que pensez vous
de l’avenir des musiques celtiques, vous qui jouez dans pas mal
d’endroits dans le monde ? Et comment appréciez-vous
l’attitude un peu frileuse quelquefois du public Français
vers des musiques comme la vôtre se prêtant plus à
une écoute attentive ?
Pour répondre d’abord
à votre première question, je crois qu’il y aura
toujours une belle place pour la musique celtique. Il n’y a
qu’à voir le succès du festival interceltique de
Lorient. La musique celtique semble avoir un réel aura qui
rayonne un peu partout. Pour revenir à ma prochaine
tournée en Russie, elle se déroulera dans le cadre de
l’année de la France en Russie. C’est quand assez
même incroyable qu’il aient choisis pour représenter
la France une artiste bretonne, qui de plus chante en breton. Pour
parler toujours de ce que j’ai pu constaté lors de mes
tournées à l’étranger, c’est
également très étonnant de voir le nombre de
pubs irlandais que l’on rencontre à Tokyo ! Je
n’imaginais pas. Et si chez nous pour être branchés
il faut manger des suschis, à Tokyo, il faut manger des crêpes
!!!
Et pour répondre à votre deuxième
question, c’est vrai qu’en France la musique
instrumentale n’a pas trop la côte. Et ça c’est
culturel, on y peut rien. Il suffit d’allumer la radio pour
s’en rendre compte. La qualité d’écoute est
tout autre quand je me produis à l’étranger.
C’est bien sûr quelque chose que j’apprécie
énormément. Cela dit, j’ai quand même en
France et en Bretagne un très beau public qui apprécie
réellement ce que je fais.
Vous
êtes une artiste Bretonne, pensez vous aujourd’ hui qu’il
faut, tout en gardant ses origines, que la Bretagne s’ ouvre
sur le monde du fait de la Communauté Européenne et que
le discours régionaliste n’est pas un peu obsolète
en 2010 ?
Je ne prendrai pas position au sens politique du
terme car ne connaît pas tous les enjeux. Mais ce que je
constate, c’est que les bretons sont des gens naturellement
ouverts sur le monde. N’ont-ils pas toujours été
de grands voyageurs ? Mais cette force d’ouverture vers l’autre
n’est possible que lorsque l’on se sent déjà
fort de sa propre culture, de ses racines. De la même façon
pour aimer les autres ne faut-il pas s’aimer et se connaître
soi-même ? Alors on est libéré de tout
questionnement qui nous empêche de vivre et on peut aller vers
l’autre sans peurs et sans jugement. Alors l’ouverture
bien sûr. Comment faire autrement ? Mais tout en préservant
l’essentiel, notre culture riche et vivante. Car nous savons
bien que la langue bretonne est toujours menacée, il ne faut
pas oublier. Je suis pour cultiver les différences.
Merci
Gwenaël d’avoir répondu à ces quelques
questions. Nous vous souhaitons bon vent, et continuez à
entretenir nos rêves musicaux. Voulez vous dire quelque chose à
nos lecteurs pour leur donner l’envie de vous écouter
?
Qu’ils
fassent le détour par mon MySpace,
simplement pour écouter quelques notes. Qu’ils fassent
l’expérience de se laisser bercer par mes mélodies
parfois hypnotiques, dans un moment de calme, de bonheur, ou de
solitude. Je les y attendrai.
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