Un seul être vous manque…
Interview Bruce SOORD

Propos recueillis par Cyrille Delanlssays en juin 2010 en marge de la chronique de Someone Here Is Missing

Bruce Soord, le leader historique de The Pineapple Thief, peut être heureux. Après sept albums et un bilan des courses haut de gamme ("3000 days" paru en 2008), il renforce la place prépondérante de son groupe dans le peloton de tête des formations progressistes à fort potentiel commercial. Celui qu’on a longtemps cru dans l’ombre de certaines formations phares (que nous ne nommerons pas ici) place désormais sa musique non plus dans leur sillage mais bien à leurs côtés. Pas moins. Délaissant la mélancolie chronique, les voici de retour avec un album court sur patte, teigneux mais diablement efficace. Une production haut de gamme qui relance la machine sur des rails aussi passionnants que sa pochette est troublante. Un point était nécessaire.

Salut Bruce. "Someone here is missing" vient de sortir, c’est le deuxième album de The Pineapple Thief pour le label KScope.

Oui, et honnêtement, je n’ai pas à me plaindre de notre collaboration. Notre précédent label, Cyclops, nous avait permis de monter une belle base de fans mais il n’avait malheureusement pas les ressources suffisantes pour aller au-delà. Passer chez Kscope a été un véritable coup d’accélérateur ! "Tightly unwound" fut leur première sortie en 2008 et depuis, le label a vraiment changé de stature, il a grandi au-delà de nos espérances. C’est vraiment génial pour eux et pour nous.

Justement, entre "Tightly unwound" et "Someone here is missing" est sortie la compilation "3000 days". Était-ce un moyen de faire le bilan des dix dernières années ?

Exactement. Peut-être ne l’avais-je pas réalisé sur le moment mais travailler sur "3000 days" fut comme tracer une ligne de démarcation. J’ai compris qu’après sept albums plutôt calmes et mélancoliques, il était temps de progresser encore, aussi bien sur le plan sonore que sur celui de la production. Mais oui, c’était une drôle d’expérience de revenir comme ça sur les dix dernières années de ma vie…

Avec ce nouvel album, tu sembles prendre une nouvelle direction, avec un style plus puissant.

En tant qu’artiste, il était surtout nécessaire d’évoluer, de progresser tout en conservant intacte la passion d’écrire. Cette envie provenait également du désir de pouvoir porter ces nouveaux titres sur scène, avec la même énergie. Nous sommes plus régulièrement sur la route et j’ai réalisé à quel point les concerts étaient importants pour TPT. Je crois que c’est une des raisons qui m’a poussé à aller vers un son plus " heavy ". C’est avant tout le reflet de toute l’énergie que nous dégageons à quatre.

Justement, as-tu changé quelque chose dans le processus d’écriture ?

Pas vraiment. Disons que dorénavant, je compose essentiellement avec ma guitare acoustique même si les arrangements finaux peuvent être très éloignés de ces premières ébauches. Tu sais, je ne peux rien faire si je ne suis pas inspiré et cela vient en général de sentiments un peu extrêmes. Bref, je laisse toujours traîner ma guitare dans la maison au cas où ! Dès que j’ai quelque chose d’intéressant, je travaille dessus avant d’entrer en studio. Fini le temps où je passais des heures à jouer enfermé avec les gadgets en attendant qu’une idée arrive. Maintenant je sais où je vais. Cela dit, ce n’est pas non plus une règle intangible. Une fois que j’ai commencé à écrire, il n’est pas rare que la chanson prenne un chemin complètement différent de ce que j’imaginais. C’est aussi pour ça que la composition est si excitante pour moi.

Ce nouveau son était-il également un souhait de la part des autres membres ?

Non, mais dès qu’ils ont reçu les démos, j’ai vu qu’ils adoraient ça bien plus que tout ce que j’avais écrit auparavant !

Comment se passe le travail avec eux ?

J’écris l’ensemble des morceaux et ensuite j’apporte le tout au reste du groupe pour les répéter et les enregistrer. Mais le groupe a toujours un droit de véto. Steve Kitch notre claviériste m’aide également pour le mixage. Comme je m’occupe déjà de l’enregistrement, ça me fait du bien de prendre un peu de recul sur cette étape. Ce n’est pas une sinécure de rester si proche d’un projet du début à la fin !

"Someone here is missing" n’est pas un album conceptuel à proprement parler mais il semble malgré tout imprégné du thème de l’absence…

Oui, l’absence de ceux qu’on aime, du passé, des regrets… mais dire cela pourrait faire passer l’album pour quelque chose de profondément nihiliste ou sans espoir, ce que je déteste. J’espère toujours que mes mots et ma musique provoqueront une sorte de catharsis chez l’auditeur.

Peut-on qualifier malgré tout la musique de progressive ?

Ca ne me dérange pas d’être étiqueté. Après tout, le rock progressif des années 70 était vraiment magnifique. Mais le problème avec le genre c’est parfois l’impression de prétention qu’il peut dégager. C’est toujours un danger. "Someone here is missing" mélange de nombreux styles et des instruments comme un orchestre à cordes, des choses assez classiques dans le rock progressif. Mais tout cela ne s’est pas fait en suivant une méthode ou des règles quelconques. Finalement, on peut même dire que l’album sonne mainstream, ça ne me préoccupe pas.

La production de l’album est vraiment de grande qualité. Etait-ce une volonté de ta part de mettre l’accent dessus ?

Merci. J’ai pris cette décision après "Tightly unwound" pour lequel j’avais eu beaucoup de remarques. Pas seulement sur l’écriture mais aussi sur l’enregistrement et le mixage. La meilleure chose quand on devient plus " important " c’est que le matériel utilisé s’améliore également. J’ai vraiment de la chance.

Quelle est ta source d’inspiration ?

Pour les textes, tout vient de ma propre vie. Pour la musique, je m’inspire de tout ce qui m’entoure. De la musique passée et présente, des sons de tous les jours…

Quelle est ta chanson préférée dans cet album ?

Hmmm, je ne suis pas sûr… mais la chanson que je nous vois le plus interpréter sur scène est sans aucun doute "3000 days".

"Nothing at best" pourrait également être un hit sur les ondes…

Pourquoi pas, mais il nous faudrait une sacrée chance quand même. Mais je pense qu’elle a effectivement tous les ingrédients pour ça.

Qu’est-ce que tu as écouté de bien récemment ?

Bonne question ! Kscope vient juste de m’envoyer le nouveau Anathema ("We’re here because we’re here") que je n’appréciais pas au début mais après plusieurs écoutes j’ai pris conscience qu’il s’agissait vraiment d’un excellent disque. C’est toujours bon signe. J’ai aussi beaucoup apprécié le dernier Katatonia. Et aussi Biffy Clyro, qui est pour moi le meilleur groupe pop-rock du moment.

"Someone here is missing" est vendu en édition spéciale avec deux titres bonus…

Connaissant Kscope, j’avais parié qu’il me demanderait quelque chose comme ça. Je sais qu’ils ont plein d’idées pour des trucs de ce genre.

Tu as demandé à Storm Thorgerson de réaliser la pochette. Pourquoi ce choix ?

Je suis un énorme fan de son travail depuis l’époque Hipgnosis (ndr : il a réalisé de nombreuses pochettes pour Pink Floyd et Rush notamment). Lorsque Scott, le chef designer de Kscope, m’a appelé pour me dire que Storm avait offert ses services je ne pouvais pas refuser !

Le résultat est sensationnel…

J’adore ! Ce n’était pas le premier choix envisagé – qui ne pouvait être fait car il impliquait de creuser un trou énorme et le temps était trop humide comme souvent ici en Angleterre. Mais après m’avoir posé des questions sur ma musique pendant plus de deux heures, lui et son équipe sont revenus avec 6 concepts et " l’homme post-it " en faisait partie. J’ai ensuite été assez chanceux pour servir de modèle. L’idée était de me tenir là, recouvert de notes me rappelant toutes les choses que je n’ai jamais dites ou faites dans ma vie. Cela résumait parfaitement le concept de l’album.

Quels sont tes projets maintenant ? Des concerts ? La France ?

Nous allons jouer en Europe plus que jamais auparavant, notamment cet automne et notre tour manager négocie actuellement deux dates en France. J’espère bien venir chez toi en octobre !

Et un DVD ?

C’est dans les cartons depuis des années ! Je pense que d’ici 18 mois il devrait enfin sortir quelque chose.

Pour finir, voici quelques questions tirées du questionnaire d’un présentateur connu ici, Bernard Pivot :

Quel est le mot que tu préfères ? Relax

Quel est le mot que tu détestes ? Remord

Quelle est ta drogue préférée ? L’alcool

Qu’est-ce qui t’inspire le plus ? L’amour et la haine

Qu’est-ce qui t’inspire le moins ? L’ennui et l’indifférence

Quel son ou bruit aimes-tu ? Le bruit de la ville

Quel son ou bruit détestes-tu ? Le son de mon chat tuant un animal sans défense

Quel est ton juron préféré ? " Oh mum ! "

Quel homme ou femme pour un nouveau billet de banque ? Ma femme pour m’avoir poussé depuis 3000 jours

Quelle profession autre que la tienne aurais-tu aimé exercer ? Joueur de foot

Quelle profession n’aurais-tu pas aimé exercer ? Tour manager

Quel végétal, arbre ou animal voudrais-tu être ? Un piment

Si le Paradis existe, que voudrais-tu que Dieu te dise lors de ton arrivée ? "Oh fuck, it’s you !"